Réussir malgré un handicap moteur

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Si handicapé équivaut à mendiant pour la plupart des sociétés africaines, Mme Diéye, née Ndéye Daga fait partie des rares femmes qui ont échappé à cette réalité. Issue d’un père intellectuel, elle a fait des études au même titre que ses frères et sœurs. Trouvée dans son bureau, elle révèle les secrets de sa réussite.

Ndèye Daga Dieye, E'jicominfos, Portrait

 «Mon père me répétait souvent que je devais être une grande dame, une responsable», se souvient la Mbouroise, atteinte de poliomyélite à l’âge d’un an.

D’une noirceur d’ébène, les deux béquilles posées à côté d’elle, devant son ordinateur,  Mme Diéye ne s’est servi de ses pieds que pendant quatre mois.

«J’ai eu la polio à l’âge d’un an, alors que j’ai fait mes premiers pas à 8 mois. Etant une maladie peu connue à l’époque, mes parents ont fait recours au traitement traditionnel pendant un bon moment, avant de se tourner vers les hôpitaux.  C’est ainsi que j’ai eu à subir faire beaucoup d’interventions chirurgicales », dit-elle, pour expliquer les raisons de son handicap.

Fille d’un directeur d’école, Ndéye Daga reconnait qu’elle doit sa réussite à son père. « Mon handicap n’a pas été une raison de ne pas me traiter au même pied que mes frères et sœurs. Mon père  me disait toujours que je devais travailler comme eux car un jour je serai une femme au foyer et personne ne viendrait faire le travail à ma place», des recommandations de son défunt  père que Mme Diéye retient encore.

Orpheline de père à l’âge de 14ans, elle s’est battu corps et âme pour être parmi les meilleurs élèves de sa génération, sous la conduite de son beau-père.

Ayant eu son DFEM (Diplôme de Fin d’Etudes Moyennes devenu aujourd’hui Brevet de Fin d’Etudes Moyennes, BFEM), elle a fait le concours d’entrée à l’école normale des jeunes filles de Thiès.

«Je voulais tester mon niveau, car ce concours regroupait de brillantes jeunes filles du Sénégal», dit-elle.

La cinquantaine, cette native de Mbour a arrêté ses études pour  le concours d’entrée à l’école normale supérieure de Dakar, afin d’aider sa maman, une veuve avec neuf enfants à nourrir.

Cependant, cette décision sera un tournant décisif  dans sa vie. « Après la visite médicale, on m’appelée pour me dire que même si je suis brillante, je ne peux pas enseigner, parce que j’ai un handicap physique.  Ça m’a fait mal sachant  que l’enseignement n’a jamais été mon rêve, je voulais le faire juste pour épauler ma mère. Écartée parce que j’ai un handicap visible, m’a exaspérée, mon tort était d’être handicapée», s’irrite la présidente de la section féminine de l’Association nationale des handicapés moteurs du Sénégal.

Cette discrimination a poussé Mme Diéye à s’activer dans la lutte pour l’insertion des femmes en situation de handicap moteur.

«Si aujourd’hui je suis une militante chevronnée  des organisations des personnes handicapées, c’est à cause de ce rejet, même si après une plaidoirie de mon beau père on m’a acceptée à l’Ecole normale», confie cette battante qui a commencé à militer pour les femmes handicapées à l’âge de 22 ans.

De rencontres en plaidoiries, Ndéye Daga s’est rendue dans plusieurs  pays pour défendre la cause des femmes qui vivent la même situation qu’elle.

En 1997, elle a été aux Etats Unis pour promouvoir le leadership féminin des femmes handicapées.  Elle a également participé à un séminaire au Burkina Faso  pour débattre sur la situation des femmes en Afrique de l’Ouest francophone / Alternatives. Cette rencontre a consisté à discuter des problèmes des femmes afin de trouver des solutions.

Distinguée pour le travail qu’elle mène envers les femmes handicapées, elle a été décorée par le ministère de la femme et primée au niveau international. «En octobre 2012, j’ai reçu le prix de l’Alliance internationale pour les Femmes. Cette alliance qui a son siège à Washington prime chaque année 100 femmes dans le monde», fait savoir cette mère de deux enfants, mariée depuis 1991 à une personne handicapée qui travaille au sein de la même association.

Mme Diéye n’est pas seulement récompensée au niveau international mais aussi sur le plan national. «J’ai été primé comme femme model pour sensibiliser les jeunes filles, les motiver et les encourager» dit-elle avec fierté.

Cependant, elle avoue que les débuts de son combat n’ont pas été une chose aisée. «Certaines familles cachaient leurs enfants handicapés quand on faisait des visites pour sensibiliser les parents. Il nous fallait les convaincre. Beaucoup de femmes venaient en rampant sous le chaud soleil ou sous la pluie. Et lorsqu’elles sont venues il nous a fallu les sensibiliser et essayer de changer certains comportements. Ce qui prend beaucoup de temps », relate la syndicaliste.

Vu son combat pour le leadership des femmes handicapées, Ndéye Daga espère qu’un jour on verra un Sénégal sans handicapées dans les rues. «Chaque fois que nous voyons des sœurs dans la rue, on se dit vraiment qu’il nous reste des choses à faire », admet la responsable de la section féminine. Ndéye Daga Diéye occupe ce poste depuis la création de cette section en 1996.

Dévouée dans son combat pour l’amélioration des conditions des femmes handicapées, Ndéye Daga Diéye reste une femme très travailleuse et parfois nerveuse. «Mes enfants diront que maman est trop exigeante, bien qu’ils ont de bons résultats à l’école, je leur demande toujours de faire mieux», témoigne la pionnière de l’association des personnes handicapées.

Contrairement aux préjugés que la société a envers les femmes en situation de handicap moteur, le statut de Ndéye Daga montre qu’une personne en situation de handicap est loin d’être un fardeau. Cette féministe est aussi co-auteur d’un livre intitulé Initiatives sur le handicap, édité en Allemagne.

Ndèye Daga Dieye, E’jicominfos, Portrait

 Mariama Diémé