De nombreuses femmes et filles albinos sont stigmatisées ou même discriminées dans la région de Dakar, comme dans de nombreuses autres localités en Afrique. D’abord parce que ce sont des femmes, ensuite parce qu’elles sont atteintes d’albinisme. Cette maladie de la peau, qui suscite des mythes et croyances non fondés, les rendent plus vulnérables et les mettent en danger dans la société. Certaines d’entre elles refusent le fatalisme et se battent comme elles peuvent.
« J’ai obtenu mon diplôme depuis 2018, mais je n’ai pas d’emploi à cause de ma maladie » : les propos sont de Mame Bousso Niang, jeune femme albinos vivant à Rufisque, vieille ville sénégalaise, non loin de la capitale.
La jeune fille vit encore chez ses parents. Assise sur un banc, dans un coin faisant office de terrasse, la jeune Rufisquoise, par manque de moyens, se retrouve avec une peau ridée et tachetée. Timide et réservée, en raison de sa condition physique, Mame Bousso, sous son voile rose et sa longue robe, se protège du soleil et des regards du mieux qu’elle peut. Après sa formation en couture, elle est toujours à la maison. Elle rapporte que lorsqu’elle « postule » pour un emploi, on ne la rappelle jamais. Cela dure depuis trois ans.
L’albinisme, la pathologie dont souffre Mame Bousso, est une anomalie génétique et héréditaire caractérisée par une production insuffisante du pigment (la mélanine) qui colore la peau, le poil et les cheveux selon le Dr Modou Djité, dermatologue à l’hôpital pour enfants Albert Royer, logé au Centre Hospitalier Universitaire de Fann, à Dakar. Le dermatologue ajoute que le terme albinisme dérive du latin « albus » qui signifie « blanc ».
On peut retrouver des albinos un peu partout dans le monde, toutefois la majeure partie de la société reste ignorante de cette maladie. Ce qui suscite la création de mythes et de croyances pour pouvoir l’expliquer.
Il est difficile de trouver des chiffres exacts sur la prévalence de l’albinisme. Selon la page consacrée en 2022 à la journée mondiale sur l’albinisme sur le site web des Nations unies, une personne sur 20.000 souffre de cette pathologie en Europe et en Amérique du nord. En Afrique subsaharienne où la maladie est plus répandue, le taux de prévalence varie d’une personne sur 5000 à une personne sur 15.0000, selon la même source qui cite des « estimations » de l’Organisation Mondiale de la Santé.
Au Sénégal, les personnes souffrant de cette pathologie, sont classés dans la catégorie des « handicapés » et leur nombre exact est difficile à déterminer. Mouhamadou Bamba Diop de l’Association nationale des Albinos du Sénégal a affirmé à E-jicom Infos qu’ils sont au nombre 10.500.
Sur le continent africain, les albinos sont souvent l’objet de mythes et de croyances erronées, dû à leur différence de peau.
Superstitions et moquerie
« À l’université, j’étais suivie par quelqu’un pendant deux mois, j’étais même filmée par lui », témoigne Maah Khoudia Keita, musicienne sénégalaise atteinte d’albinisme. La jeune femme explique également que son traqueur désirait « avoir des relations sexuelles » avec elle pour s’enrichir, car selon une croyance dans le village du jeune homme, avoir un rapport intime avec une personne atteinte d’albinisme serait source de richesse.
Dans un mémoire présenté en 2018 dans le cadre d’une Maîtrise en science politique à l’Université du Québec à Montréal et intitulé Sorcellerie et albinisme en Afrique subsaharienne, l’auteur Bineta Fall affirme que « dans de nombreux pays, les personnes vivant avec l’albinisme sont considérées comme des revenants, des êtres possédant des pouvoirs surnaturels. Certains des aspects physiques de leur apparence (sont) souvent considérés comme étranges tels que le louchement des yeux, dû à leur déficience visuelle, des postures jugées ‘bizarres’, de grandes plaies larges participent aux jugements négatifs à leur égard ».
Pour toutes ses raisons, de nombreuses femmes et filles albinos sont stigmatisées ou même discriminées. D’abord parce que ce sont des femmes, ensuite parce qu’elles sont atteintes d’albinisme, cette maladie particulière qui suscite des mythes et croyances non fondés, les rendant plus vulnérables, et en danger dans la société.
« Il est impossible de ne pas sentir qu’il y a une différence entre les autres et moi quand je marche dans la rue. Les gens me dévisagent très souvent (…). Les enfants très souvent aussi m’interpellent. Il y en a qui m’appellent en me rappelant que je suis albinos (…) Je n’aimerais pas que les enfants aient peur de moi », se lamente Aby Ka, artiste albinos.
Aby comme d’autres jeunes femmes albinos, a dû passer par des moments très douloureux pour son mental. Des moqueries, des critiques, de la discrimination, le rejet ou des difficultés d’intégration.
Mame Bousso, la jeune femme de Rufisque n’a pas été épargnée non plus : « c’est à cause de la moquerie que j’ai abandonné les études. On me mettait au fond de la classe et je n’arrivais pas à voir le tableau. Je n’acceptais pas cette discrimination, c’est pourquoi j’ai abandonné. J’ai arrêté en classe de CM2, au début de l’année ».
« Les mythes présents en Afrique sont vieux de plusieurs siècles et ont continué à prospérer avec la mondialisation et la modernité du continent en entraînant les populations à développer des raisonnements fallacieux sur les albinos », explique Bineta Fall dans son mémoire cité plus haut.
Contourner son handicap
Maah Khoudia Keita affirme que tout albinos à un moment de sa vie est passé par ces maux : « les moqueries verbales quand on était enfant, tous les albinos sont passés par là, on a tous connu le fait de passer dans la rue qu’on se moque ou crache à cause de notre présence », déclare Maah.
Pierre Mendes, un jeune rencontré aux Parcelles Assainies, quartier populeux de la banlieue dakaroise, trouve les albinos aimables et est conscient de leur sensibilité au soleil. Il confie qu’il avait un ami albinos avec qui il jouait au football, mais malgré son appréciation positive des personnes albinos, il admet que « si c’est un choix, je préfère ne pas avoir un enfant ou une femme albinos. Parce que je ne veux pas que mon enfant souffre ou ait un handicap».
Comme la plupart des femmes, les femmes albinos font attention aux produits et soins qu’elles utilisent. Même si le manque de mélanine rend leur peau plus délicate. Abby par exemple dit devoir faire très attention au choix des serviettes hygiéniques durant son cycle menstruel, car certaines serviettes lui « causent des irritations
Pourtant, l’albinisme n’est pas forcément synonyme de mendicité, de sorcellerie ou de souffrance. La fameuse artiste Maah Khoudia Keita pense en effet qu’être albinos ne veut pas dire être plus faible, les femmes albinos peuvent avoir du caractère et s’imposer dans la société.
Mais comme toutes les autres femmes, les femmes albinos ont des passions, des rêves et du potentiel : « je suis chanteuse et je prépare beaucoup de projets. J’ai sorti deux clips » confie Abby. Mame Bousso aussi a ses rêves. « Je veux faire un petit commerce comme la mercerie. Je serai à l’abri du soleil parce que j’aurai ma propre boutique », déclare-t-elle.
Contrairement à Mame Bousso, Maah Khoudia Keita, qui grâce à son métier n’est pas toujours exposée au soleil. Car la plupart de ses présentations se font la nuit ou en intérieur. La musicienne n’a aucun problème de peau, car depuis le bas âge ses parents ont eu les bons gestes et les moyens.
Pour les femmes comme Maah et d’autres qui ont plus de chance, être albinos n’est en rien un handicap.
« Je n’ai pas le sentiment d’être malade. C’est plutôt une carence. Toutes les fois où j’ai été à un entretien, j’ai essayé d’être moi, même si les gens ont leurs préjugés », affirme Pernelle Obame, professionnelle de la communication de nationalité gabonaise, vivant au Sénégal depuis 2013. Bien qu’elle soit albinos, elle est aujourd’hui manager dans une entreprise privée dakaroise où elle s’occupe de la communication événementielle.
Mme Obame avoue que ce ne fut pas un combat facile, mais elle s’est donnée et s’est imposée depuis l’école primaire, grâce au soutien physique et moral de ses parents. « Au collège, même quand j’étais assise au milieu de la salle, je me levais pour aller à côté du professeur ou du tableau avec mon cahier. C’est vrai qu’on se moquait de moi, mais j’avais mon caractère », affirme-t-elle.
Rolly Ntoutoume L3, Aichata Diakité L3