Pour Thiat, rappeur et membre du mouvement Y’en A marre, c’est la différence de style qui oppose l’ancienne et la nouvelle génération de la société civile africaine. Alors que pour Alioune Tine, directeur d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, « ce sont les résultats qui comptent ». En plus des protagonistes directes, Ejicom Infos a élargi le débat.
« Notre différence, c’est que nous tenons un langage accessible pour le peuple », pense savoir Omar Cyril Touré alias Thiat. Il s’exprimait lors d’un débat qui avait pour thème: « Quelle société civile africaine ? » en marge de la projection du film « Les incorruptibles » de l’américaine Elisabeth Chai Vasarhelyi, lors du Festival Ciné Droit Libre. Selon lui, « une rupture s’est opérée entre la nouvelle et l’ancienne génération de la société civile africaine plus élitiste, tant dans les méthodes et dans l’action ». Ce que confirme Charles Sanches, juriste et blogueur : « La société civile classique se limitait à la production de discours et était dans une démarche de dialogue avec le pouvoir ».
« La jeune garde est plus tranchante voire plus encline à une confrontation avec le pouvoir alors que l’ancienne a plus tendance à être dans une démarche de négociation ».
Très en verve comme à son habitude, Thiat, Omar Cyril Touré à l’Etat civil pense que leur investissement sur le terrain a fédéré les populations à leur mouvement et à leurs idéaux. C’est ce qui explique selon lui le déphasage entre le peuple et l’ancienne génération, qui se limitait à produire des réflexions plutôt que de les expérimenter sur le terrain.
Selon Charles Sanches, par ailleurs défenseur des droits humains, cette différence de démarche est évidente. « La jeune garde est plus tranchante voire plus encline à une confrontation avec le pouvoir alors que l’ancienne a plus tendance à être dans une démarche de négociation ». A son avis, « l’élargissement de l’espace civique, l’émergence des nouveaux médias, les réseaux sociaux etc. », expliquent cette différence de démarche.
« C’est tellement vrai qu’on croirait que la société civile est née au Sénégal avec Y en a marre, qui ne se limite pas aux déclarations et aux dénonciations », soutient Elhadj Ibrahima Thiam, journaliste au quotidien Le Soleil. L’adhésion des populations à Y’en A Marre résulte selon lui des actions menées sur le terrain, et qui parlent plus aux jeunes. Néanmoins, il admet que le Sénégal a une longue tradition de lutte citoyenne, « dont l’éclosion a coïncidé avec l’ouverture démocratique des années 1970 ».
« l’essentiel est de savoir ce qu’on fait, comment on le fait, avec quel moyen et avec qui. Mais surtout d’avoir des résultats concrets pour les populations »
Youlouka Luc Damiba, journaliste burkinabé et un des initiateurs du Festival Ciné Droit Libre. Présent lors du débat, a constaté que « les jeunes sont plus dans l’action que dans les discours stériles ».
Le directeur d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre n’est pas du meme avis. Selon Alioune Tine, « l’essentiel est de savoir ce qu’on fait, comment on le fait, avec quel moyen et avec qui. Mais surtout d’avoir des résultats concrets pour les populations ». Apparemment nostalgique, l’ex directeur de la rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho) ajoute que, lui également, « tout comme les jeunes, a connu une période de radicalité, et qu’une expérience de 50 ans lui a permis de savoir où mettre les pieds ».
Toutefois, il reconnait le mérite de Y en A marre, « des jeunes engagés et radicaux », avec qui il a eu à travailler.
Un autre facteur qui explique l’adhésion des populations à ce mouvement réside dans la simplicité du discours. « On ne peut pas tenir des discours avec des mots savants à une population majoritairement analphabète », affirme Thiat. El hadj Ibrahima Thiam ne dit pas autre chose : « Pour toucher une cible majoritairement analphabète et faire passer le message, il est important que les termes soient accessibles voire même terre à terre ». Un avis que ne partage pas Alioune Tine pour qui, les termes utilisés dans les discours doivent obéir à un lexique dédié.
Un des problèmes de la société civile comme des formations politiques, est la personnalisation. « Quand on parle de défense des droits de l’homme au Sénégal les gens pensent automatiquement à Alioune Tine et Mouhamadou Mbodj du Forum civil », déplore le rappeur et activiste. Tout le contraire du mouvement Y’en A Marre dont « l’originalité réside dans la pluralité des interlocuteurs et la liberté de parole », se réjouit Ahmet Diallo, chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB) et acteur de la revendication universitaire.
En dépit du changement de génération, la société civile fait toujours face à des combats ponctuels. Ce débat est loin d’être clos tant les perspectives sont grandes et méritent qu’on s’y attardent.
Abdou Aziz Cisse (L2)